Depuis toujours, la foudre fascine. Phénomène longtemps inexpliqué, attribué à des divinités mythologiques, son étude par l’approche scientifique n’a réellement débuté qu’à la fin de la Renaissance. Dans ce dossier, initialement publié sur son site Meteobell, Damien Belliard revient sur l’Histoire qui entoure ce phénomène insaisissable.
Le Feu Divin
La foudre prend une place centrale dans pratiquement toutes les mythologies depuis l’antiquité. Les hommes voyaient dans la foudre punitive et le tonnerre grondant le déchaînement divin des forces surnaturelles. Zeus dans la Grèce antique, Jupiter chez les Romains, Indra chez les Hindous ou Thor chez les Vikings se servaient tous de la foudre comme d’une arme pour frapper les mortels de leur courroux. Dans la Bible, les éclairs sont une création de Dieu que lui seul commande et il y est fait allusion, comme à ses flèches enflammées. C’est au milieu des éclairs que Moïse s’approcha du Sinaï. Dans la plupart des mythologies, cependant, la foudre n’est pas seulement une force destructrice, elle est souvent associé à des dieux créateurs. Tlaloc chez les Aztèques, Illapa chez les Incas ou Chac chez les Mayas sont les dieux à la fois de la foudre, de la pluie et de la fertilité. L’éclair est pris dans la Bible, comme dans notre langue, pour symbole de la rapidité et de la soudaineté.
La Fée Électricité
C’est au cours du XVIIème siècle que les premières théories savantes sur la foudre font leur apparition, mais l’électricité n’ayant pas encore été découverte, elles se révèlent encore parfois très originales. En 1637, Descartes par exemple a compris que dans l’orage les mouvements d’airs sont massifs et brusques, il pense alors que la foudre est issue du dégagement de chaleur par compression d’une masse d’air fracassée par une autre. Boerhaave, en 1724, quant à lui, comprend que l’orage est formé d’hydrométéores et imagine une théorie complexe où l’énergie du soleil serait concentrée par effet miroir grâce aux cristaux de glace, permettant de créer une zone de vide, qui par effet de compensation provoquerait une explosion soudaine, emportant les hydrométéores présents qui, par frottement avec l’air, dégageraient une chaleur et un bruit prodigieux. Ces hypothèses seront rejetées par la suite par méconnaissances dans de nombreux domaines, mais cette période riche en théories diverses sonne une transition importante, c’est la fin de l’obscurantisme, le début du siècle des Lumières et de la recherche scientifique. C’est dans la même période que la première machine électrostatique est inventée. Les inventeurs redoublent alors d’ingéniosité pour divertir la noblesse dans les salons chics, grâce notamment à de multiples expériences ludiques provoquant de petites secousses électriques (Bouteille de Leyde). L’électricité reste encore du domaine du merveilleux, du spectacle et de la physique amusante.
Le Siècle des Lumières
Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour que la recherche scientifique sur la foudre commence véritablement. Benjamin Franklin fait alors ses premières expériences en laboratoire sur l’électricité et en 1752 prouve, par son célèbre cerf-volant, la similitude qui existe entre la foudre et les étincelles produites en laboratoire. On lui doit notamment les mesures montrant que la charge principale dans la partie inférieure d’un orage est négative. Il est également l’inventeur du paratonnerre. À la suite de Franklin, il y a eu peu de progrès significatifs dans la compréhension de la foudre. Les recherches se focalisent alors surtout sur l’électrostatique de laboratoire (Du Fay, Coulomb), la conduction électrique (Gray, Ohm, Joule, Thomson), sur l’électricité du vivant (Galvani, Cavendish), l’électrochimie (Volta, Kohlrausch, Arrhenius, Nernst, Mendeleïev) et l’électromagnétisme (Ørsted, Ampère, Faraday, Maxwell). Toutes ces recherches ne concernent pas directement la foudre mais contribuent tout de même à une meilleure compréhension théorique et pratique de l’électricité sous toutes ses formes jusqu’à l’ère industrielle (Edison, Tesla) et électronique d’aujourd’hui (Hertz, Braun).
Les Images Fulgurantes
En matière de foudre naturelle en revanche, on ne sait en fait toujours que peu de choses jusqu’à la fin du XIXème siècle. Les premières estimations de courant de foudre ne sont par exemple réalisées qu‘en 1900 en étudiant le magnétisme résiduel des roches où elle tombe (Pockels). Ce n’est que lorsque la photographie et la spectroscopie seront devenues des techniques de diagnostic, que la recherche fera de grands pas en avant. C’est l’époque des premiers chasseurs d’orages scrutant, photographiant, filmant et analysant la foudre pour en comprendre tous les secrets. En effet, les chercheurs en Angleterre (Hoffert 1889), en Allemagne (Walter 1902 à 1918) et aux États-Unis (Larsen 1905), utilisent alors des techniques photographiques à différentes intervalles de temps fixés pour identifier les “arcs subséquents” individuels qui comprennent une décharge d’éclairs au sol et le processus de “traceurs” qui précède les premiers coups. L’invention de la caméra à balayage de fente en 1900 par Boys permet de filmer à très haute vitesse et sera utilisée dans de nombreux travaux dans les années 1930 et par la suite, permettant les avancées pionnières dans notre compréhension des principaux aspects descriptifs de la foudre (Malan). Nous leur devons pratiquement toute la description des apparences (phénoménologie) connue actuelle de la foudre classique.
L’Aube de la Modernité
L’ère moderne dans la recherche de la foudre peut être datée à Wilson en 1920 (inventeur également de la chambre à brouillard), qui réussit à estimer les structures de charge au sein d’un orage et à mesurer la charge impliquée dans la décharge d’un coup de foudre. Dans les années 1950, grâce aux améliorations de la spectroscopie, on quantifie pour la première fois les conditions physiques à l’intérieur et autour d’un canal de foudre. D’autre part, les mesures de champs électromagnétiques générés par la foudre s’affinent considérablement grâce à des lâchers de ballons météorologiques directement dans les orages. Parmi les plus grands travaux jusque dans les années 1970, on peut citer également ceux de Schonland qui photographie à grande vitesse la foudre en la corrélant précisément à des mesures de champ électrique et les recherches de Berger qui grâce à une tour instrumentée foudroyée, en mesure précisément les courants. Avant 1970 cependant, une grande partie de la motivation pratique pour la recherche de la foudre provenait de la nécessité de protéger adéquatement la distribution d’électricité et les lignes de transmission. Mais dans les années 1960-1970, c’est surtout au niveau de la compréhension des nuages orageux eux-mêmes (provoquant la foudre) et des tornades (1971 Fujita) que l’on fait le plus de progrès, notamment grâce à la multiplication des réseaux de radars de précipitations et doppler ainsi que du lancement des premiers satellites météorologiques (1959 Vanguard). En effet, c’est durant cette période que l’on élabore la plupart des modèles conceptuels sur les orages et qui sont toujours utilisés aujourd’hui.
La Foudre Obscure
Après 1975 et jusqu’à maintenant, l’utilisation de la fusée-fil déclenchée sur des orages naturels est devenue une technique répandue pour étudier divers aspects de la foudre. On bénéfice également de nouvelles techniques de prise de données et d’analyses et à partir des années 1990, on rentre dans l’ère de la numérisation et de l’informatique des signaux électromagnétiques liés aux orages. Après 1990, la motivation dans l’étude de la foudre est surtout fournie par les dommages causés sur les avions, les engins spatiaux et aux installations sensibles au sol en raison de la vulnérabilité de l’électronique moderne (ordinateurs) aux émissions électromagnétiques engendrées par la foudre. Au niveau de la recherche théorique, c’est à partir des années 1980-1990 que l’on découvrira que le champ électrique mesuré lors d’un orage est trop faible pour engendrer la foudre telle que nous la connaissons. Aussi, l’une des questions majeures que se poseront tous les chercheurs durant ces années et encore jusqu’à aujourd’hui, sera de savoir ce qui amorce vraiment au départ le déclenchement de la foudre, ainsi que ce qui permet aux traceurs de se propager sur d’aussi longues distances. D’autre part, il n’y a qu’à peine 20 ans que l’on découvrait les phénomènes lumineux transitoire (TLE), tels que les farfadets rouges (red sprites) de divers types, les halos rouges (sprites halos), les démarreurs bleus, jets bleus, jets géants et elfes (elves), qui se produisent dans l’air raréfié au-dessus du sommet des nuages, et que les chercheurs ne savent pas correctement expliquer encore aujourd’hui. Enfin, cela ne fait qu’environ une dizaine d’années qu’il a été découvert que les phénomènes de haute énergie, tels que les electrons runaways, les émissions de rayons X et de rayons gamma, y compris les flashs de rayons gamma terrestres (TGF) observés sur les satellites en orbite, sont produits par des orages et des éclairs. Aussi, l’histoire de la foudre n’a pas fini de s’écrire et réserve encore bien des secrets dans le futur.
Auteur du dossier : Damien Belliard
Mise en page et relecture : Maxime Daviron / Will Hien
Dossier suggéré : Histoire de la photographie d’éclairs au XXème siècle.
Sources :
- C. Bouquegneau : Futura-Sciences : Foudre, tonnerre : ces dangers venus du ciel
- Top Chrétien : Dictionnaire de la Bible : Éclair
- Association Protection Foudre : Histoire– Wikipédia : Histoire de l’Électricité
- Vladimir A. Rakov : Lightning: Physics and Effects
- Martin A. Uman : The Lightning Discharge