Septembre, déjà. L’été a filé, comme à son habitude, sans me laisser le temps de m’en apercevoir. Après l’ébullition des milliers de kilomètres parcourus depuis mai, l’imminence de l’automne s’impose comme une douche froide : le temps est compté. Chaque jour qui passe voit s’étioler mes chances d’observer de nouveaux orages, et bien que l’automne soit ma saison de prédilection, ma fascination pour la foudre est obsédante. Il me faut alors saisir ce qui sera peut-être l’une de mes dernières opportunités.
Le 3 septembre, je pars donc pour l’Espagne, direction les Sierras du nord de la Catalogne dans un premier temps. Après une première nuit particulièrement électrique, je file vers l’ouest dans une région du piémont pyrénéen que je connais presque mieux que les alentours de ma propre maison : l’Aragon, et plus particulièrement la province de Huesca. Dans l’après-midi, la convection commence à s’initier sur les reliefs karstiques.
En fin de journée, les choses s’amorcent : premiers coups de tonnerre, première averse, et quelques timides internuageux. Il est alors 19 h 30, et je dois prendre une décision : le dernier run des modèles voit le potentiel orageux se décaler plus au sud que prévu. La question est de faire confiance à ce changement de dernière minute, ou au contraire de suivre mon intuition selon les observations du terrain et l’expérience que ces runs tardifs sont parfois à ignorer.
Problème : la convection s’initie également au sud. Je mets le cap à mi-chemin, vers de hautes collines situées à une demi-heure de là, afin de pouvoir aviser en ayant un visuel dégagé de chaque côté.
Le soleil se couche, et des lignes de congestus gonflent anarchiquement dans plusieurs directions. Je décide de privilégier le nord, où l’orographie a fatalement plus d’influence. Au sud s’ouvrent les plaines arides de Huesca, et les forçages comme l’humidité n’y semblent pas au rendez-vous.
J’enchaîne sans traîner les lacets de la petite route déserte qui redescend du col, jusqu’à apercevoir soudain les premiers flashs… Lointains, au nord-ouest, nés quelque part entre le massif du Cotiella et le grand lac de barrage de Mediano. Mon intuition était bonne. Cette cellule est lointaine, mais d’autres devraient normalement se former plus près d’ici peu.
Et ça ne manque pas ! Quelques minutes à peine après ma courte pause, alors que je rejoins la route menant à mon point de vue, un orage monocellulaire éclot au sud-est de celui-ci. Il ne me reste qu’à appuyer sur l’accélérateur, me concentrer sur la route, et grappiller la moindre seconde disponible… Les flashs se succèdent à un rythme toujours plus soutenu, je dois donc foncer en fermant symboliquement les yeux sur ce qui se passe sur la droite de mon champ de vision.
Heureusement, je me gare 15 mn plus tard sur le lieu visé et déplie le trépied sans perdre un instant. La cellule est toujours active et relativement statique, et une seconde semble émerger de l’obscurité, à sa gauche. La nuit étant totalement noire, je débute alors une série de « portraits » étoilés.
L’activité intranuageuse commence peu à peu à « sortir », dévoilant de véritables sacs de nœuds électriques.
Après plusieurs pics d’activité, les deux cellules déclinent et finissent par s’éteindre. Mais depuis leur naissance, dans mon dos, de puissants flashs illuminent le ciel nocturne. Je contourne le village derrière moi par une petite sente donnant sur le flanc ouest, et un système hyperactif apparaît, lointain. Je supposais jusque là qu’il était trop distant pour m’y intéresser, mais finalement il y a peut-être quelque chose à tenter… Autant jouer le tout pour le tout. Je retourne donc à la voiture et décide de foncer dans le tas, plein ouest, et d’aviser sur la route.
Je file d’abord vers un village situé à 25 mn de là ; et voyant la position de l’orage, je poursuis sans perdre un instant en direction de hautes collines que j’avais découvertes un an auparavant – je savais, à l’époque, que ces points de vue me seraient utiles un jour.
Au terme d’un nouveau « rallye », moins de 45 mn après avoir quitté mon premier point de vue, je parviens à un col dégagé peu après minuit. L’activité est furieuse, et l’orage bien plus proche que je ne le pensais. Pour couronner le tout, il avance droit sur moi. Le temps de sortir le matériel, un impact frappe au loin dans la vallée ! Enfin, la foudre. L’atmosphère est puissante, sans un bruit, seul le grondement étouffé et intimidant du tonnerre se diffuse dans la nuit. Je m’installe en vitesse, déclenche, et attends…
Et soudain, la rupture se produit.
Les flashs intranuageux ont beau être ininterrompus, cette continuité semble pourtant se briser quand jaillissent dans le noir les ramifications d’un impact soudain. Et s’ils sont rares, chacune de leurs apparitions n’en est que plus fulgurante.
À mesure que l’on avance dans la nuit, le vent se renforce et les éclairs s’approchent. Vers 2 h du matin, je suis contraint de trouver refuge dans la voiture, alors que les rafales et la pluie se mêlent violemment. Les internuageux traversent le ciel au-dessus de moi.
Finalement la pluie cesse, le vent tombe, et le calme revient. Il est temps de profiter d’une courte nuit de repos.
Le lendemain, le périple se poursuivra plus au sud, jusqu’aux abords de l’Èbre. Ce sera le dernier de cette saison 2018, mais la suivante s’avérera être l’une des meilleures que j’ai connue, particulièrement dans ma recherche de foudre en altitude. De quoi générer des images et des histoires qui alimenteront bientôt de futurs récits.
Ce récit est un extrait – adapté et complété pour l’occasion – d’une plus longue histoire relatant plusieurs jours de road trip orageux à travers le nord de l’Espagne, début septembre 2018. La version complète est visible ici : Nuits Noires | Septembre 2018.